lundi 6 octobre 2014

Le noir, le blanc et la carotte

Au fur et à mesure qu'on vieillit et que notre parcours d'infertile se prolonge, les réactions autour de nous changent. Avez-vous remarqué?

Quand on est au tout début, à peine diagnostiquée, ou peut-être pas encore, on dit aux gens le mot "infertile", et leur réaction est toute blanche, à peine froissée. "T'es encore jeune", qu'ils disent. "T'en auras un autre", qu'ils répètent. "Un jour, ça marchera, tu vas voir", qu'ils savent. 

On dirait qu'à ce moment-là, pour eux, nous ne sommes pas une "vraie" infertile. Nous ne sommes qu'une fille un peu impatiente, qui ne connait rien à rien, qui s'inquiète pour rien, qui est triste pour pas grand chose. Pas assez patiente, pas assez positive. Il y a tout ça dans le blanc. Le déni - maladroit et sûrement pas intentionnel -  mais le déni quand même, de ce qu'on vit. Parce que tsé, il faut être positive, c'est écrit partout. Il y a obligation.

Difficile, dans ce temps-là, de se sentir entendue, supportée. On a l'impression de vivre un drame bien concret, bien présent, et la brique qui vient de nous tomber sur la tête est bien réelle pour nous. Pour moi c'était la sensation d'injustice qui était la plus prenante. Vraiment, toutes les autres? et pas moi? Bref, on vit ça de façon difficile, et pourtant, on se sent perçue par les autres comme une enfant gâtée qui chigne pour rien. Alors au drame s'ajoutent la frustration et la colère. Et le silence, parce qu'on finit par ne plus avoir envie d'en parler. 

Pour ceux et celles qui, comme moi, restent "stallés" un peu trop longtemps dans les dédales de l'infertilité, il se passe quelque chose de bizarre.

Après un moment, le blanc devient noir pour les autres. Et notre nuage noir à nous, lui, pâlit. 

Après quelques années, on nous prend au sérieux. Quand tu te fais demander "Pourquoi t'as pas d'enfants?" dans un cinq à sept, répondre "je suis infertile" avec un diagnostic qui a encore la couche aux fesses, ça invite aux "tu-t'en-fais-trop-pour-rien". Mais répondre "j'essaie depuis bientôt 8 ans et j'ai perdu quatre grossesses en cours de route, je suis infertile", ça en bouche un coin. C'est bête, je me retrouve à être soudainement prise au sérieux. Trop au sérieux. 

La réaction noire de l'interlocuteur, c'est une face qui crie "Oh mon Dieu!! - Pauvre elle! - Quel drame, quelle tristesse, roulons-nous dedans!! - Quel courage, quelle force!!". C'est une face qui des fois sent juste un tout petit peu trop la pitié à mon goût. 

A un certain moment, je me disais que j'aurais bien dû apprécier cette empathie exagérée qui semblait être le lot de l'infertile sénior que je suis devenue. Mais après un long moment durant lequel moi, j'étais dans mes idées noires et où je me sentais carrément incomprise quand on tentait de m'encourager à être positive, voilà que je me sens à la place.. mal comprise. 

Moi, depuis le temps, j'ai changé de place. J'ai ragé, j'ai souffert, j'ai chiâlé à l'injustice, j'ai pleuré en masse. J'ai fait des deuils, plein de deuils. J'ai appris des leçons de vie, je pense que je peux dire ça, maintenant. Je me suis endurcie, je me suis fait des carapaces et je les ai brisées. Et même s'il m'arrive encore, des fois, d'avoir peur, de chiâler, de rager, et d'être triste à cause de mon infertilité et de ma "vie reproductive" qui ne se déroule pas comme prévu, bien... je rage pas mal moins fort qu'avant. Et surtout, autrement, et moins souvent. Si ça se trouve, parfois je me trouve presque chanceuse dans ma malchance. Ben quoi? Tout le monde semble recevoir sa brique sur la tête à un moment ou à un autre. Moi, ma brique, j'ai eu le temps de m'y habituer. Elle m'est presque confortable, elle fait partie de ma vie. J'ai appris à accepter ce qui , il y a quelques années, me semblait inacceptable, et bien que ça ne m'immunise pas contre d'autres éventuelles briques (chose que j'ai apprise aussi...), disons que ça m'a fait une sacrée bonne pratique. Je me sens aujourd'hui plus forte qu'avant. Je suis capable de dire de moi que je suis résiliente. C'est un terme que j'ai gagné et mérité à la sueur de mes ovaires.

Mais toi, toi qui est devant moi, à qui je dévoile mon histoire, mon long parcours d'échecs et de tristesse, toi, ce n'est que maintenant que tu réalises vraiment. Que tu mesures l'ampleur de la chose. Que tu visualises les longs moments que j'ai dû passer à attendre, à espérer, à être déçue. À avoir mal, physiquement et moralement. Que tu me prends vraiment (même un peu trop) au sérieux. Que tu te laisses candidement impressionner par la lourdeur et la durée de mon épreuve. Et des fois, tu me fais une face noire, sérieux, tu devrais te voir. T'as la tête que j'aurais voulu que tu aies quand j'ai reçu mon diagnostic, quand j'ai perdu mon premier bébé, quand j'étais au plus bas, certaine de faire partie d'un tragico-drame de mauvais goût. Mais c'est correct, tu vois. Juste une question de timing: on ne vit juste pas nos prises de conscience en même temps, j'imagine. 

Dans la vie, rien n'est tout noir ou tout blanc. Il n'y a pas deux côtés à une médaille, il y en a des dizaines et des dizaines. La réalité, ce n'est pas "Tu t'en fais pour rien" ou "Quel drame abominable", c'est quelque part entre les deux, et je peux dire aujourd'hui qu'une écoute ou une réponse qui dramatise mon vécu ne vaut pas vraiment mieux qu'une réponse qui le banalise. Les deux, finalement, me font également sentir comme si quelque chose clochait, comme si le son qui arrivait à l'autre bout du fil ne correspondait pas vraiment au son de ma vraie voix. D'une certaine manière, on dirait que tu ne m'entends pas.

***

Et... la carotte, elle? Qu'est-ce qu'elle vient faire là-dedans?

La carotte, c'est la carotte au bout du bâton, celle que nous les infertiles avons dans la tête à tous les jours de notre parcours. La possibilité. Le peut-être. Peut-être que ça marchera un jour. Il y a des chances que oui. Les médecins nous l'ont dit, nous l'ont expliqué en long et en large, et c'est pour ça qu'on est infertiles, et non "stériles". 

La carotte, toi, cher interlocuteur qui ne reçoit mon expérience que par bribes, tu ne la vois pas. Tu ne sais peut-être même pas qu'elle est là. Tu t'imagines peut-être qu'on ne "peut pas" avoir d'enfants, point barre. Mais c'est la carotte au bout du bâton qui fait, qui sculpte, qui cuisine tout ce long processus qu'on vit. Un genre de dépendance à la carotte. Je ne veux pas faire cette analogie de façon péjorative, mais on est un peu comme des dépendants du jeu. Des joueurs compulsifs, mais sans le "compulsifs". On a l'appât du gain, parce que il paraît que ça pourrait marcher, et ça, ce "il paraît", c'est fort, très fort comme incitatif. On n'a pas idée. C'est fort, surtout après un certain temps. Bordel, on n'a sûrement pas tout fait ce chemin pour rien... on va bien finir par le gagner, notre gros lot. Tu vois?

Quand on est infertile, il y a autour de nous des gens qui ne voient que la carotte (les blancs, les "ça-va-marcher-tu-vas-voir"), et ceux qui ne la voient pas du tout (les noirs, les "pauvre-elle-qui-ne-pourra-jamais-donner-la-vie"). Et nous on est quelque part entre les deux. À être parfois bien motivée par ce qui pourrait être, et à s'habituer doucement en même temps à ce qui pourrait aussi ne jamais être. À apprivoiser LE grand mystère, celui dans lequel tout le monde vit, au fond, mais sans y penser beaucoup. À apprendre à se sentir bien, même dans l'incertitude. À espérer sans attendre, à apprendre à s'écouter soi-même (parce que c'est pas dit que t'as envie de faire des traitements jusqu'à la fin des temps), à admettre la chose la plus simple du monde et à la fois la plus difficile à admettre: je ne sais pas. Je ne sais pas si je serai mère un jour. Je ne sais pas pourquoi ça m'arrive, qui décide de ça. Je ne sais pas s'il y a un sens à tout ça. Admettre ce "Je ne sais pas", et ne pas pleurer. Juste accepter, de plus en plus. 

Personne ne sait. Personne ne décide vraiment de la vie qu'il mène. C'est juste qu'il y en a beaucoup qui pensent qu'ils savent. C'est tout. 

Pour beaucoup, je pense que devenir mère, c'est devenir adulte. 
Nous, les femmes sans enfants en général, on a souvent l'impression d'être traitées comme des enfants. Soit comme des égoïstes (oui oui, on est égoïstes si on veut trop un bébé, mais on est aussi égoïstes si on n'en a pas... faudrait savoir!!), ou encore comme des filles qui ne connaissent rien à rien. 
Ben je vous jure, l'infertilité, c'est une autre façon de devenir une grande personne.

***

L'infertilité, c'est pas juste des images d'ovules grossies au microscope et des médecins qui parlent de génétique dans un charabia peu accessible au grand public. Ce n'est pas que traitement, ce n'est pas que diagnostic. L'infertilité, ça devient un chemin de vie, ça nous force à philosopher un brin, à avoir un certain recul. Et ça, c'est important que ça se sache. Que ce n'est pas qu'une condition gynécologique, ou un bête désir non-comblé. Que ça représente un vécu beaucoup plus large et complexe et touffu qu'un simple "je n'ai pas d'enfant". 




lundi 12 mai 2014

Silence radio

Ouf! Il y a longtemps...
Êtes-vous encore là?

Pour être bien honnête, j'ai cru que je ne reviendrais jamais écrire ici. Je ne sais pas trop pourquoi je n'avais pas cru bon mettre un point final à mon blogue et écrire un dernier article en guise d'au revoir... Peut-être qu'inconsciemment, je voulais me garder la possibilité d'y revenir? Enfin bref. Ceci étant dit, si vous êtes un(e) "ancien(ne)" lecteur(trice) (c'est pas simple l'égalité des sexes hein!) et que vous passez par ici, je tiens à m'excuser de vous avoir laissé(e) sans nouvelles comme ça, tout d'un coup, pendant aussi longtemps, sans plus d'explications. C'était pas délibéré de ma part, mais c'étai pas très chic non plus.

La vie a tourné très vite et très lentement à la fois, depuis ma GEU, fin novembre 2011.
Pour résumer: j'ai eu une longue période de réflexion et sans essai, puis j'ai saisi l'opportunité/l'idée/l'envie de travailler moins durant l'année qui s'annonçait afin de m'accorder le temps de réaliser des projets qui me tenaient à coeur. Finalement c'est un peu une sabbatique à durée indéterminée, mon affaire, puisque ça fera 2 ans que ça dure à l'automne prochain.

Entre temps, je me suis renseignée sur l'adoption internationale, j'ai appris qu'elle se trouvait actuellement dans une situation bien difficile, apparemment la pire depuis la dernière décennie. J'ai parlé avec une dame d'une agence d'adoption concernant la possibilité pour nous d'adopter en Russie. Ça m'a semblé atrocement compliqué, long, difficile, contraignant.

Puis, j'ai arrêté la pilule, bêtement, parce que j'étais rendue au bout de ma prescription, et que j'ai négligé d'en faire part à mon médecin et mon pharmacien. Dans le fond, je voulais voir ce que ça donnerait, d'arrêter. De quoi auraient l'air mes cycles, autrefois atrocement looooongs...

Ça, c'était en décembre. Depuis, je ne sais pas d'où ça sort, mais j'ai des cycles d'une durée normale, autour de 28-30 jours. C'est le boutte du boutte!!

On a fait quelques essais, mais sans médication. Au cas où un miracle nous attendrait.
Ça n'a rien donné, mais ce n'est pas grave. Ça nous a permis de voir comment on aborderait une nouvelle série d'essais, de voir comment on se sentait par rapport à l'idée de tout recommencer. Ça s'est plutôt bien passé. On se sent assez solides pour recommencer, une dernière fois. Je viens d'avoir 37 ans, alors ça sent un peu la dernière chance (oui bon je sais, ça sent ça depuis mes 35 ans.. ;) Les délais d'adoption sont tellement longs... le pas a été "facile" à franchir entre "attendre 6-7 ans" et "tenter notre chance pour que ça fonctionne d'ici 2-3 ans". Bon, je dis "facile", c'est relatif. Il y a eu réflexion, mijotage, projection dans le futur. Et on a franchi ce pas.

On a déjà amorcé nos démarches auprès de notre clinique, refait des prises de sang, repris des rendez-vous pour certains examens déjà faits par le passé, mais dont les résultats étaient échus. Aussi certains examens n'avaient pas été faits avant, donc on se lance maintenant dans un bilan plus poussé, entre autre une petite investigation pour voir s'il n'y aurait pas autre chose qui cause nos fausses couches répétées. On a pris notre rendez-vous et ça n'a pas été une traînerie : on est si motivés que 3 jours après la rencontre avec le médecin, mon chum a déjà fait tous ses examens et prises de sang, et j'ai fait la majeure partie des miens aussi. Le reste suivra rapidement... On va commencer ça, ces inséminations-là, pis ce s'ra pas une traînerie!!

***

Ça fait quelques fois que je reviens faire des tours sur cet ancien blogue, et sur les blogues ici à droite, que j'avais l'habitude de visiter presque quotidiennement. J'avais arrêté d'y venir parce que des fois, je traversais la ligne, la fine ligne qui sépare le "ça me fait du bien" du "je me roule dans ma bouette et je me fais du mal pour rien". J'avais besoin d'une coupure, de ne plus y penser, d'arrêter de songer à mes ovaires. Ça m'a fait du bien.

Mais là, de replonger dans le "merveilleux monde de la pma", ça me remet dans le bain. Je suis revenue, dernièrement, vous lire, les copines, voir où vous en étiez rendues. Je suis revenue faire des recherches aussi. J'ai toujours senti que c'était une responsabilité, pour moi, de faire quelque chose pour qu'on parle d'infertilité, pour qu'on ne reste pas collectivement pris et prises dans le tabou. Je m'en sentais la responsabilité, parce que si nous, qui vivons ces épreuves et qui passons par là, on ne parle pas de notre réalité, qui d'autre pourra en parler à notre place? Qui saura de quoi il faut parler, comment remettre les pendules à l'heure, comment aborder les choses, comment les nuancer? Qui saura que la procréation médicalement assistée, ce n'est pas seulement une étrange femme de 62 ans qui a accouché d'octuplés? Cette responsabilité, elle me semble plus importante que jamais, peut-être simplement parce que je cherche à me sentir utile, ces temps-ci. Peut-être juste parce que j'ai rechargé mes batteries, pris du recul, et retrouvé l'envie d'en parler.

Ce blogue, il prendra peut-être une tournure différente, moins axé sur mon besoin personnel de ventiler et de tenir à jour mon journal intime, et plus axé sur une réflexion sur le sujet. Enfin.... c'est ce que je souhaite, mais il se construira de lui-même au fil des articles. C'est, disons, la phase deux de la construction:)

J'aimerais en faire un espace qui ne s'adresse pas qu'aux autres infertiles, mais à tout le monde que notre situation intéresse ou intrigue. Je rêve peut-être en couleurs, mais bon, ça ne coûte rien d'essayer!